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Amylose

Amylose


 
Jean-Paul  Fermand: Professeur des Universités, praticien hospitalier 
Service d'immunohématologie, hôpital Saint-Louis, centre Hayem, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75475  Paris  cedex 10 France 
Jean  Sibilia: Praticien hospitalier 
Service de rhumatologie, hôpital de Hautepierre, avenue Molière, 67098  Strasbourg  cedex France 
13-014-G-10  (1995)


 

Résumé

Le terme d'amylose s'applique à un groupe hétérogène de situations pathologiques caractérisées par la présence de dépôts extracellulaires d'un matériel protéique fibrillaire particulier, la substance amyloïde. Les premières descriptions d'amylose datent du XVIIe siècle et la substance amyloïde a été individualisée par Virchow au siècle dernier [ 4 ]. Sa faible solubilité et sa résistance à la protéolyse en ont longtemps retardé l'extraction tissulaire et la caractérisation. La démonstration, par Pras, en 1968, du caractère soluble en eau distillée des fibrilles amyloïdes [ 36 ] a permis leur analyse biochimique et la caractérisation progressive, au cours des dernières années, d'une quinzaine de types différents d'amylose.


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Plan

Propriétés communes à toutes les amyloses. Structure physique. Substance P
Classification des amyloses. Les différentes protéines amyloïdes
Manifestations cliniques
Diagnostic
Traitement
Conclusion


Quels que soient leur structure biochimique et l'organe dans lequel ils sont mis en évidence, tous les dépôts amyloïdes ont en commun des propriétés tinctoriales et structurales caractéristiques. En microscopie optique, ils sont de siège extracellulaire et apparaissent homogènes et amorphes. Leur identification demande des colorations spéciales dont la plus sensible et la plus spécifique reste le rouge Congo, avec lequel la substance amyloïde brille vivement en lumière polarisée en ayant un aspect biréfringent vert-jaune. Le cristal violet et le violet de méthyl la colorent de façon métachromatique en rouge ; la fluorescence en lumière ultraviolette obtenue après coloration par la thioflavine T est moins spécifique.

En microscopie électronique, les dépôts amyloïdes apparaissent constitués de fibrilles rigides, linéaires, non branchées, disposées en amas désordonnés, ayant 7 à 10 nm de diamètre et une longueur indéfinie. Chaque fibrille est elle-même constituée de 5 ou 6 protofibrilles disposées en hélice. Etudiées par cristallographie, elles montrent une structure -plissée à chaîne antiparallèle très caractéristique, responsable de la fixation du rouge Congo.

Les fibrilles amyloïdes sont associées à des composants non fibrillaires communs à tous les types d'amylose. Le plus important est une glycoprotéine, appelée composant amyloïde P ou AP, qui peut constituer jusqu'à 15 % des dépôts. L'AP provient d'une protéine sérique normale de synthèse hépatique, voisine de la protéine C réactive, la SAP [ 8 ]. La SAP se lie facilement à différentes structures, en particulier à des polysaccharides linéaires de structure répétitive, les glycosaminoglycanes, dont certains, comme l'HSPG (« heparin sulphate proteoglycan »), participent à la constitution des différentes amyloses. Le rôle de l'AP, des glycosaminoglycanes et d'autres substances communes moins bien définies comme l'AEF (« amyloid enhancing factor »), dans la structure et la pathogénie des dépôts amyloïdes, reste très mal connu [ 24 ].



Le principal composant des fibrilles amyloïdes est une sous-unité protéique variable d'une forme d'amylose à l'autre [[16], [17]]. La classification actuelle des amyloses (tableau I) repose sur cette différence de nature entre les fibrilles amyloïdes [ 23 ]. La plupart des protéines amyloïdes dérivent d'un précurseur, parfois normal, parfois résultant d'une mutation en général transmise de façon héréditaire et à l'origine d'une forme familiale d'amylose.

La protéine amyloïde AA est un polypeptide de 8,5 kDa dérivant d'une apoprotéine, la SAA, associée dans le sérum à des lipoprotéines de haute densité [ 41 ]. La synthèse, hépatique, de la SAA est augmentée lors des réactions inflammatoires sous l'influence des principales cytokines de l'inflammation (interleukines [IL] 1 et 6, facteur de nécrose des tumeurs [TNF]). La fonction de la SAA n'est pas connue. Sa structure et celle de ses gènes ont été précisées chez l'homme et dans diverses espèces animales. Il existe habituellement, au sein de chaque espèce, plusieurs sous-types différents. Chez la souris, un stimulus inflammatoire, par exemple des injections de caséine, entraîne une hyperproduction de SAA avec, chez certains animaux, apparition de dépôts amyloïdes, toujours exclusivement constitués des produits de clivage d'un seul isotype, SAA2. Les souris n'exprimant pas SAA2 sont résistantes à l'induction d'amylose. Chez l'homme, l'hypothèse de séquences de SAA plus particulièrement amyloïdogènes reste à démontrer [ 41 ].

Glenner, en 1971, a le premier montré une homologie de structure primaire entre des fibrilles amyloïdes et les fragments d'une molécule d'immunoglobuline (Ig) monoclonale [[16], [17]]. L'amylose AH, formée pour partie d'une chaîne lourde d'Ig, existe [ 9 ] mais paraît exceptionnelle. La quasi-totalité des amyloses immunoglobuliniques sont des amyloses AL, constituées par le domaine variable et tout ou partie du domaine constant d'une chaîne légère monoclonale. Les chaînes légères sont deux fois plus souvent en cause que les chaînes , avec une particulière représentation de certains sous-groupes protéiques (CL3, et, surtout, VL6, jamais observé sans amylose associée). In vitro, la protéolyse de la plupart des chaînes légères paraît pouvoir aboutir à un matériel de type amylose ; in vivo, certaines sont amyloïdogènes, d'autres pas, comme le confirme l'expérimentation animale (induction de dépôts AL chez la souris après injections répétées de protéines de Bence-Jones humaines uniquement lorsque celles-ci proviennent de malades ayant eux-mêmes une amylose) [ 43 ]. Les caractéristiques physicochimiques et structurales expliquant le potentiel amyloïdogène variable des différentes protéines de Bence-Jones sont très mal connues [ 3 ]. De même, d'éventuels facteurs liés à l'hôte, par exemple au niveau des macrophages où semblent se former les fibrilles amyloïdes, restent à préciser. L'amylose AL doit être distinguée des dépôts de molécules entières de chaînes légères et/ou de chaînes lourdes d'Ig qui caractérisent les maladies des dépôts d'Ig qui, comme elle, compliquent l'évolution de certaines gammapathies monoclonales [ 2 ].

Le principal composant de l'amylose des hémodialysés est la 2-microglobuline (2M) [ 11 ], molécule dont le taux sérique est très élevé au cours de l'insuffisance rénale (jusqu'à 60 fois la normale). L'accumulation prolongée de 2M est un élément déterminant ; de fait, l'amylose ne se manifeste qu'après une période de dialyse d'au moins 5 à 6 ans et, surtout, son incidence est réduite par l'utilisation de membranes de dialyse (en polyacrylonitrile notamment) perméables à la 2M. La 2M se lie au collagène et cette interaction expliquerait la distribution principalement articulaire et périarticulaire des dépôts amyloïdes des hémodialysés.

A l'exception de la maladie périodique et du syndrome de Mückle et Wells, qui s'accompagnent d'une amylose AA, les amyloses familiales [ 19 ] sont dues à l'expression d'un variant très amyloïdogène d'une protéine normale, du fait d'une mutation ponctuelle du gène correspondant, habituellement transmise de façon autosomique dominante. Les mutations du gène de la préalbumine ou transthyrétine (TTR) sont les plus fréquemment en cause ; 15 ont été décrites dont 12 associées à une maladie où prédomine une neuropathie et 3 associées à une cardiomyopathie. La mutation Met 30, remplaçant une valine par une méthionine, est la plus habituelle et caractérise la principale neuropathie amyloïde familiale, initialement décrite au Portugal. De façon remarquable, des souris transgéniques exprimant le gène TTR Met 30 développent bien une amylose mais celle-ci est diffuse et, paradoxalement, n'intéresse pas les nerfs périphériques [ 33 ]. En dehors de la TTR, d'autres protéines (apolipoprotéine A1, gelsoline, cystatine C) peuvent être à l'origine de formes familiales d'amylose (tableau I) [[19], [23]].

Les lésions cérébrales observées au cours de la maladie d'Alzheimer, de démences apparentées et des trisomies 21 sont dues à des dépôts neuronaux et/ou vasculaires de fibrilles amyloïdes constitués d'une protéine, la protéine A4, dont le précurseur APP (« amyloid precursor protein ») est codé par un gène situé sur le chromosome 21. Certaines formes familiales de maladie d'Alzheimer sont associées à des mutations ponctuelles du gène -APP ; dans les autres cas, l'amylose A4 pourrait être due à des anomalies enzymatiques à l'origine d'une dégradation anormale de la protéine -APP [[7], [18], [37]].

Des dépôts amyloïdes peuvent être observés au niveau d'organes endocrines de sujets âgés et au sein de certaines tumeurs sécrétant des hormones polypeptidiques. Dans ces situations, l'amylose est constituée de produits de dégradation de l'hormone elle-même ou d'une prohormone : amylose liée à la calcitonine des carcinomes médullaires de la thyroïde, amylose cardiaque dérivée du facteur natriurétique atrial, amylose pancréatique due à des polypeptides produits par les îlots de Langerhans [ 46 ].



Le dépôt d'une substance amyloïde au niveau d'un organe donné a des conséquences voisines, quelle qu'en soit la nature. Par contre, les différentes amyloses surviennent dans des circonstances étiologiques diverses et ont des tropismes tissulaires variables, d'où un grand polymorphisme clinique.


L'amylose rénale [ 10 ] se traduit par une néphropathie essentiellement glomérulaire. Elle peut rester longtemps asymptomatique avant d'entraîner une protéinurie non sélective, puis, fréquemment, un syndrome néphrotique habituellement pur. La constatation radiologique ou échographique d'une augmentation de la taille des reins est classique et évocatrice. L'examen histologique rénal montre des dépôts caractéristiques, nodulaires, situés dans les glomérules et les vaisseaux ; des dépôts péritubulaires et interstitiels peuvent être associés. L'évolution peut être marquée par la survenue d'une complication du syndrome néphrotique, en particulier une thrombose des veines rénales. Sinon, la néphropathie amyloïde entraîne progressivement une insuffisance rénale avec parfois hypertension artérielle.

Les symptômes d'une amylose cardiaque [ 5 ] sont habituellement ceux d'une cardiomyopathie restrictive avec insuffisance cardiaque gauche ou globale. Ils peuvent évoquer une péricardite constrictive. L'électrocardiogramme peut montrer un microvoltage, des anomalies de la repolarisation et, surtout, des troubles du rythme et/ou de la conduction auriculoventriculaire. En échographie bidimensionnelle, l'aspect le plus fréquent est celui d'une cardiomyopathie hypertrophique avec hypertrophie septale asymétrique ; la constatation d'un aspect granité et brillant des parois est évocatrice [ 5 ]. Le cathétérisme droit, lorsqu'il est pratiqué, peut montrer une élévation des pressions de remplissage réalisant un aspect en « dip plateau ». L'insuffisance cardiaque est le plus souvent réfractaire aux traitements habituels. Les digitaliques sont à éviter car fréquemment à l'origine de troubles de conduction. En dehors du cas particulier de l'amylose cardiaque sénile, les cardiopathies amyloïdes ont un pronostic très péjoratif.

L'amylose digestive peut intéresser l'ensemble du tube digestif, de la langue au rectum. L'infiltration linguale peut entraîner une macroglossie, parfois extrêmement invalidante. Les autres manifestations d'amylose digestive sont moins fréquentes. Il peut s'agir de troubles du transit, habituellement de diarrhée, de signes pseudo-obstructifs, d'hémorragies, de symptômes liés à des ulcérations ou à des phénomènes ischémiques. Les radiographies peuvent montrer des images d'allure tumorale ou des infiltrats.

Les localisations hépatiques [ 12 ] d'amylose entraînent fréquemment une hépatomégalie, parfois très importante et contrastant avec la discrétion des anomalies biologiques associées, généralement limitées à une cholestase anictérique modérée. Une splénomégalie par infiltration splénique est rarement observée sans hépatomégalie associée.

L'amylose pulmonaire [ 32 ] peut concerner l'ensemble de l'arbre trachéobronchique. Elle est généralement infraclinique ou difficilement décelable, du fait des conséquences de l'amylose cardiaque fréquemment associée. Il en existe des formes pseudotumorales, parfois révélées par une hémoptysie ou des symptômes obstructifs.

Les lésions d'amylose cutanée [[38], [40]] les plus habituelles sont des pétéchies et des ecchymoses, survenant spontanément ou après un traumatisme minime, témoignant d'une infiltration vasculaire ; elles siègent avec prédilection aux plis cutanés, en particulier aux paupières. D'autres lésions sont possibles ; papuleuses, de couleur jaune ou rose, nodulaires ou bulleuses [ 38 ], elles peuvent s'associer chez un même malade et prédominent souvent au visage et sur le tronc. Des lésions muqueuses, souvent associées à une macroglossie, une alopécie, des lésions unguéales, sont également possibles. L'infiltration amyloïde peut être mise en évidence par examen histologique de biopsies effectuées en peau apparemment saine. La ponction du tissu graisseux sous-cutané abdominal a également été proposée à titre diagnostique (cf. infra).

L'expression la plus habituelle de l'amylose du système nerveux périphérique est un syndrome du canal carpien, souvent bilatéral, lié à une compression par des dépôts amyloïdes. Les neuropathies amyloïdes sont habituellement symétriques, distales, et à prédominance sensitive, avec atteinte élective des sensibilités douloureuse et thermique. L'atteinte du système nerveux autonome est fréquente et souvent importante ; elle peut être responsable de troubles digestifs et sexuels, d'une parésie vésicale et d'une hypotension orthostatique.

L'amylose articulaire [ 39 ] se traduit habituellement par l'installation progressive d'une polyarthropathie bilatérale et symétrique atteignant poignets, doigts, épaules et genoux. Un syndrome du canal carpien est associé une fois sur deux. Des déformations digitales par infiltration des gaines tendineuses et la présence de nodosités sous-cutanées périarticulaires, responsable aux épaules d'un aspect athlétique « en épaulette », sont évocatrices. Un épanchement articulaire est fréquent et l'analyse du culot de centrifugation du liquide peut montrer des dépôts amyloïdes au niveau de débris synoviaux. Les arthropathies amyloïdes des hémodialysés chroniques (cf. infra) s'individualisent par la fréquence de lésions géodiques sous-chondrales, surtout observées au niveau des poignets et des cols fémoraux, fréquemment à l'origine de destructions articulaires [ 45 ].

D'autres localisations sont possibles (muscles, os, glandes endocrines, moelle osseuse, ganglions...) parfois symptomatiques (syndrome sec de l'amylose des glandes salivaires, syndrome de claudication intermittente, en particulier de la mâchoire, lié à des dépôts vasculaires [ 15 ], etc.).

Parmi les anomalies de l'hémostase qui peuvent compliquer les amyloses, la plus remarquable est le déficit acquis en facteur X, vraisemblablement lié à la fixation de ce facteur sur la substance amyloïde elle-même [ 20 ].



  Amyloses systémiques [ 26 ]
 

Les amyloses sytémiques sont caractérisées par une distribution multiviscérale des dépôts amyloïdes. Elles peuvent être acquises ou héréditaires. L'incidence des différentes formes systémiques d'amylose s'est modifiée au cours des dernières années ; les plus souvent observées aujourd'hui sont d'origine immunoglobulinique [[1], [30]].

L'amylose immunoglobulinique [ 28 ] ou amylose AL peut révéler ou compliquer l'évolution d'une hémopathie lymphoplasmocytaire (myélome ou macroglobulinémie de Waldenström le plus souvent, plasmocytome solitaire, maladie des chaînes lourdes ou autres hémopathies B plus rarement). Ailleurs, elle s'associe à une situation de type gammapathie monoclonale dite bénigne, c'est-à-dire à la présence d'une Ig monoclonale sérique et/ou urinaire sans prolifération lymphoïde avérée décelable. Enfin, dans 10 % des cas, l'amylose AL paraît isolée et seules des techniques fines peuvent mettre en évidence une population plasmocytaire clonale produisant la chaîne légère amyloïdogène. Ces deux dernières situations sont souvent regroupées sous le terme d'amylose primitive.

L'amylose AL associe à des degrés divers des manifestations surtout rénales, cardiaques, musculaires, neurologiques et cutanées. Au diagnostic, environ 1 malade sur 2 a un syndrome néphrotique, 1 sur 4 une insuffisance cardiaque, et 1 sur 6 des signes de neuropathie périphérique. Au cours du myélome, où son incidence est de l'ordre de 15 %, l'amylose AL est souvent révélée par un syndrome du canal carpien. Qu'elle soit associée ou non à une hémopathie avérée ou primitive, l'amylose immunoglobulinique reste de mauvais pronostic avec une survie moyenne de l'ordre de 1 à 2 ans.

L'amylose secondaire [ 13 ] est une amylose AA compliquant l'évolution de maladies chroniques diverses. Les plus fréquentes actuellement sont des rhumatismes inflammatoires (polyarthrite rhumatoïde essentiellement, spondylarthrite ankylosante, maladie de Still, rhumatisme psoriasique) et des entérocolopathies (maladie de Crohn...) sans particularité clinique en dehors d'une évolution prolongée (souvent 15 à 20 ans) et mal contrôlée.

L'association amylose AA-maladie infectieuse chronique (tuberculose, ostéomyélite, dilatation des bronches...) est devenue rare, en dehors de circonstances particulières (mucoviscidose, lèpre lépromateuse). Quelques observations d'amylose AA survenant au cours de maladies néoplasiques (maladie de Hodgkin, cancer du rein) ont été rapportées.

La grande majorité des malades ayant une amylose AA secondaire ont, au diagnostic, une atteinte rénale symptomatique. Les autres symptômes fréquents sont des signes digestifs, une hépatosplénomégalie, parfois un goitre. Les autres localisations sont le plus souvent infracliniques. La mise en évidence de l'amylose représente un élément pronostique péjoratif, surtout s'il existe une insuffisance rénale ; un traitement efficace de la maladie causale, lorsqu'il est possible, peut cependant s'accompagner d'une régression des dépôts amyloïdes (cf. infra).

L'amylose de la fièvre méditerranéenne familiale (FMF) ou maladie périodique [ 19 ], maladie habituellement considérée comme étant transmise sur un mode autosomique récessif, est la plus fréquente des amyloses héréditaires. Il s'agit d'une amylose AA systémique dont la complication essentielle est rénale. Son incidence est variable selon les ethnies concernées par la FMF, le plus souvent originaires de l'Est méditerranéen ; elle est plus importante chez les juifs séfarades, moindre chez les Arméniens. Elle varie également à l'intérieur d'une même famille et tous les malades présentant les accès fébriles avec douleurs abdominales, articulaires ou thoraciques caractéristiques ne développent pas une amylose ; à l'inverse, de rares malades ont une amylose sans jamais avoir présenté d'épisodes de sérites. Même si l'un des gènes de FMF paraît localisé (chromosome 16) [ 35 ], les mécanismes génétiques et la physiopathologie de la maladie restent très mal connus. De façon remarquable, le traitement continu par colchicine réduit la fréquence des accès fébriles et prévient le développement de l'amylose (cf. infra).

Le syndrome de Mückle et Wells [ 19 ] est également une amylose héréditaire AA essentiellement rénale, de transmission autosomique dominante, associée à une urticaire, une surdité et à des arthrites.

Les autres amyloses systémiques héréditaires [ 19 ] ont des expressions cliniques diverses. Les plus fréquentes sont les neuropathies amyloïdes familiales, dont quatre types sont individualisés en fonction de caractéristiques cliniques (prédominance aux membres supérieurs ou inférieurs, atteinte des nerfs crâniens et du système nerveux autonome ; signes associés, en particulier oculaires) et de l'origine des malades [ 19 ].

L'amylose des hémodialysés chroniques [ 45 ] a une expression quasi exclusivement ostéoarticulaire et périarticulaire. Les symptômes sont liés aux dépôts ligamentaires (syndrome du canal carpien, très fréquent), tendineux (ténosynovite des fléchisseurs des doigts...) et synoviaux (synovites de sièges divers, notamment scapulaires ; épanchements, en particulier des articulations des genoux). Les géodes sont souvent asymptomatiques avant de participer, par leur extension, à l'installation d'arthropathies destructrices (genoux, hanches).


 Amyloses localisées
 

Certaines amyloses ne concernent qu'un seul organe. Les plus fréquentes sont acquises et liées au vieillissement ; elles sont cardiaques et neurologiques. L' amylose cardiaque sénile concerne 1 personne sur 4 après 80 ans ; elle est souvent localisée aux oreillettes et infraclinique mais peut contribuer à la décompensation des cardiomyopathies du sujet âgé. L'amylose cérébrale [[7], [37]] constitue le centre des plaques séniles qui, associées à des dégénérescences neurofibrillaires, caractérisent les démences de type Alzheimer ; des dépôts amyloïdes sont également fréquemment observés dans la paroi des vaisseaux cérébraux. D'autres amyloses séniles sont possibles, notamment pancréatiques et articulaires.

Il existe des formes familiales d'amylose localisée, par exemple cornéenne [ 19 ]. Par ailleurs, des dépôts amyloïdes peuvent être mis en évidence au sein de certaines tumeurs endocriniennes (tableau I). Enfin, l'observation de formes pseudotumorales (« amyloïdomes ») d'amylose localisée, de siège divers, est possible ; les dépôts sont le plus souvent AL, parfois AA [ 25 ].



Le diagnostic d'amylose est histologique et implique la réalisation d'une biopsie. La biopsie d'un organe cliniquement atteint, théoriquement la plus rentable, est à privilégier lorsque de réalisation simple (localisations cutanées) ; cependant, elle peut être relativement agressive (coeur, nerf) et peut comporter des risques, en particulier hémorragiques (foie, rein). Dans ces cas, la suspicion d'amylose systémique doit d'abord conduire à la réalisation d'une biopsie gingivale, labiale ou rectale ; cette dernière, à condition d'être suffisamment profonde pour permettre une analyse de la sous-muqueuse, est positive environ 3 fois sur 4. Une alternative plus performante (jusqu'à 90 % de positivité) est d'effectuer une ponction de graisse sous-cutanée [ 6 ]. La biopsie cutanée en peau saine est moins sensible (environ 40 % de résultats positifs) [ 40 ]. Au niveau de tous les sites biopsiés, en particulier de biopsies cutanées, la microscopie électronique peut permettre la mise en évidence de dépôts minimes, non décelables par les techniques standards [ 38 ].

La nature des dépôts amyloïdes est souvent suspectée à partir du contexte clinique dans lequel ils sont mis en évidence. Dans les autres cas, les principales pathologies associées doivent être recherchées et la réalisation d'une étude immunochimique des protides sanguins et urinaires, cherchant à mettre en évidence une Ig monoclonale, est tout particulièrement nécessaire. La réaction au permanganate de potassium différencie théoriquement l'amylose AA (fixation du rouge Congo sensible au KMnO4) des amyloses AL, ATTR et ASC1, résistantes. En fait, pour préciser le type d'amylose, il est maintenant réalisé un examen immunohistochimique, en utilisant des anticorps anti-chaînes légères d'Ig, anti-SAA, anti- 2-microglobuline ou antipréalbumine.

De nombreuses techniques d'imagerie nucléaire ont été proposées à titre diagnostique ou pour apprécier l'extension et l'évolution sous traitement des maladies amyloïdes. L'utilisation de composant P marqué à l'iode permet d'effectuer les études cinétiques et scintigraphiques les plus intéressantes [[21], [34]].



Il n'est pas actuellement connu d'agent thérapeutique inhibant efficacement la synthèse ou le dépôt de fibrilles amyloïdes ou stimulant leur dégradation. L'utilisation du diméthylsulfoxide (DMSO), proposé à un moment, a été abandonnée car d'efficacité très incertaine et peu compatible avec une vie sociale normale.

Les traitements actuels des amyloses cherchent tous à réduire la production ou les taux sériques du précurseur amyloïdogène. Cet objectif est envisagé avec des approches différentes selon le type d'amylose. Par exemple, l'utilisation de membranes de dialyse augmentant la clairance de la 2M (membranes en polysulphone ou en polyacrylonitrile) réduit nettement la fréquence de l'amylose des hémodialysés. Un autre exemple est apporté par la réalisation d'une transplantation hépatique à des patients atteints d'amylose ATTR héréditaire ; la greffe rétablit une synthèse de transthyrétine normale et s'accompagne d'une stabilisation, voire d'une régression des dépôts amyloïdes [[22], [42]].

La colchicine a un remarquable effet préventif sur la constitution de dépôts d'amylose AA, tant dans des modèles murins (amylose expérimentale induite par des injections répétées de caséine) que chez l'homme (FMF). Les mécanismes de son action restent mal connus mais passent probablement, au moins en partie, par une inhibition de la production de la protéine SAA. Au cours de la maladie périodique, administrée tôt, de façon continue, à faible dose (1 mg/j), la colchicine empêche la survenue des accès fébriles et prévient l'apparition de l'amylose rénale [ 47 ]. Par contre, la régression de dépôts constitués reste à démontrer. L'intérêt de la colchicine dans la prévention des amyloses AA secondaires à une maladie inflammatoire ou infectieuse chronique est d'étude difficile. Dans ces situations, le traitement de la pathologie causale a pu, dans quelques cas (traitement radical d'un foyer infectieux...), entraîner une régression de l'amylose, parfois documentée histologiquement [ 44 ].

Le traitement de l'amylose AL est décevant. Lorsqu'existe une prolifération lymphoplasmocytaire avérée associée, le traitement est logiquement celui de l'hémopathie. Cependant, les traitements actuels du myélome ou de la macroglobulinémie de Waldenström ne permettent que très rarement d'obtenir une rémission complète et l'observation d'une régression ou même d'une stabilisation des dépôts amyloïdes est exceptionnelle. Lorsque l'amylose AL est apparemment primitive, les décisions thérapeutiques sont très difficiles [ 31 ]. Elles doivent prendre en compte l'évolution naturelle de la maladie amyloïde, les risques iatrogènes, en particulier leucémogènes, des chimiothérapies et leur efficacité très incertaine au cours des gammapathies monoclonales dites bénignes. Les études randomisées qui ont, dans cette situation, comparé une chimiothérapie (par melphalan et prednisone) à un placebo ou à la colchicine ont donné des résultats discordants [[27], [29]]. Le bénéfice de l'association de la colchicine à une chimiothérapie reste incertain. L'intérêt d'effectuer des échanges plasmatiques n'est pas démontré. Enfin, l'interféron recombinant -2b a été utilisé seul chez quelques malades et paraît peu efficace [ 14 ].



Au total, l'amylose systémique constituée, quelle qu'en soit la nature, reste de traitement difficile et de mauvais pronostic. Les causes de décès les plus fréquentes sont toujours cardiaques et rénales, même si l'amylose rénale ne contre-indique ni la mise en hémodialyse ni la réalisation d'une transplantation.


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